C’est avec un sourire radieux que nous sommes accueillis par Sofie, l’épouse du Chef Thierry Theys dans leur restaurant « Nuance » de Duffel. Les Membres du Club royal des gastronomes de Belgique connaissent bien cette belle maison de bouche – certains depuis son ouverture – dont on retrouve le décor sobre et calme.
Nous prenons place sur les fauteuils pivotants de cuir vert ceignant une grande table ronde blanche immaculée et bien éclairée, prêts pour le moment sybaritique attendu et qu’inaugure l’apéritif au vin de Champagne de Michel Laval à Boursault. Celui-ci est accompagné de prolégomènes tout aussi raffinés, qu’élégants et originaux, indiquant le haut niveau du repas qui va suivre – huître à la bergamote ; tartelette au thon, nori, wasabi et oxalis pourpre ; boule frite au Comté ; pain vapeur au gel de tomate ; sublime crémeux au foie gras, à l’ananas caramélisé et au maïs – et d’une généreuse collection boulangère dont un pain très goûteux à la bière et une brioche subtilement glacée au miel et à l’ail.
Le déjeuner débute avec une assiette d’une folle délicatesse visuelle. Coquille Saint-Jacques crue, en tranches minces, déposées sur une mirepoix de céleri et quelques perles blanches au wasabi. L’ensemble est humecté d’une eau aromatisée au cédrat puis de quelques pointes d’huile à la bergamote. Une entrée légère et fine, telle de la soie sauvage, où le goût doux et peu prononcé du coquillage est soutenu par les autres saveurs. L’accord avec le Grüner Veltiner de la vallée du Wachau (2023) est bien réussi.
Suivent deux morceaux de homard de bretagne, cuits à la perfection, accompagnés de tomates grillées et confites, et mis en majesté sous un drapé ivoire et anthracite de pâte colorée à l’encre de seiche, coiffé d’un croustillant biscuit noir en forme de papillon. Sur le côté on ajoute une cuillère de sauce Choron pimentée qui exalte le homard. La compote d’échalote noire et la vanille annoncées sur les menus individuels imprimés se font discrètes. Très surprenant vin orange (Heitlinger 2021) valant plusieurs compliments au sommelier, pour un mariage extrêmement bien réussi entortillant les papilles avec suavité.
Le rythme du repas est particulièrement régulier, environ vingt-cinq minutes entre l’arrivée de chaque plat. Idéal. La brigade de salle est très attentive, et l’hôtesse charmante.
Nous poursuivons avec un plat odoriférant et emblématique du Chef, pépite du menu. Quelques boules croquantes, juteuses, et légèrement granuleuses, de poire nashi fraîche et caramélisée, et des cèpes fondants servent de piédestal à un buisson envoûtant de lamelles de truffe blanche d’Alba. Une sauce à la truffe très parfumée et savoureuse, enrichie de beurre noisette, lie l’ensemble pour une extase gustative enivrée par un vin rouge de Catalogne : Les Maiols (2023).
Cette montée en puissance de saveurs se conclut avec une tranche de râble de lièvre coupée dans la longueur, couchée sur une assiette au bord strié « violet métallique, » et accompagnée d’un champignon matsutaké poêlé, de topinambour, et de betterave. Deux sauces viennent arroser la viande exceptionnellement tendre : l’une, animale, à base de fond de viande, l’autre, caressante, à la fine champagne. Les yeux succombent à l’harmonie des couleurs de ce plat diapré avant que la bouche soit conquise par sa puissante vivacité, sur laquelle le vin italien de Marco Conati (Valpolicella, 2021), tient bon, malgré sa fugacité.
Notre premier dessert, à la présentation amusante, rassérène les papilles par son sage contraste, en nous apportant l’acidité d’un jus de baies d’argousier et d’une glace au yuzu qu’adoucit une crème au yahourt. Un biscuit sablé mi-cuit au sésame apporte une texture glutineuse et plaisante. Le second dessert reprend tout en tendresse chaleureuse les saveurs d’une tarte Tatin, auxquelles sont adjointes celles de la noix de pecan et de la cannelle.
Moins timide qu’auparavant, le Chef vient nous saluer sous de discrets applaudissements – d’autres clients étant encore présents. L’expérience voluptueuse n’est cependant pas terminée et un chariot de tartes, macarons, Paris-Brest, baba, boules de Berlin, et confiseries nous est présenté pour accompagner infusions, cafés et thés. La tentation est grande. Elle est encore plus grande de revenir goûter bientôt cette cuisine audacieuse, poétique et tout en nuance.