Mais c’est au chef du restaurant que le maître gastronome donna l’accolade
D’un admirateur à l’autre et passant de main en main, le « Prince élu des gastronomes » termina, lundi, sa première journée chez nous en dégustant, dans l’un des temples bruxellois de la bonne cuisine, le restaurant du Mail, un de ces dîners comme seuls peuvent en concevoir les fidèles du culte gastronomique le plus orthodoxe. C’était d’ailleurs le Club des gastronomes qui l’avait organisé, et c’est tout dire.
À la droite de Curnonsky, il y avait Pierre Morren, président du club et, à sa gauche, le « grand pilier » des Tastevins de Belgique, le Dr A. Vlimant, tout réjoui d’avoir à rendre honneur au vénérable grand officier de la confrérie.
Parmi les quelque soixante convives, triés sur le volet, il y avait par parties égales, des écrivains, des gastronomes et de vieux amis de Curnonsky, lui-même écrivain autant que gastronome. Citons quelques noms : MM. P. de Backer, P. Quersin, le ministre Delvaux de Fenffe, R. Lejeune, Lizoulet, Jean Groffier, Georges Rency, Oppitz, Max Rose, Beaufays, Flagey, P Vandendries, G. Williot, T. Bauvoisin, etc., etc. Tous agréablement mêlés et confondant le goût des belles lettres avec celui des bonnes choses. Monsieur Meissinger, attaché commercial, représentant l’ambassadeur de France, tandis que le beau sexe se trouvait représenté de façon si élégante que Curnonsky, au dessert, s’écria : « C’est le dîner ou j’ai vu le plus de jolies femmes. »
Ce dessert, c’était une glace représentant de façon fort précise, le dernier autant qu’épais volume que vient de publier le prince des gastronomes, sous le titre : « Bons Plats, Bon Vins », et dont il allait, l’après-midi même, dédicacer les 3.000 recettes à ses admirateurs, dans les bureaux de notre journal.
Les discours furent spirituels les vins exquis, et le chef du mail se vit donner l’accolade pour avoir réussi pour le plus difficile des convives, un véritable chef-d’œuvre de la table.
Le « Prince » signe, à la Lanterne…
Cinq heures… La pluie tombe sur Bruxelles et les pavés brillent. Une longue voiture s’arrête devant l’immeuble illuminé. C’est le Prince » qui arrive…
Dans le hall un groupe attend. En haut, les gros livres attendent aussi, en pile sur le bureau. Et tout aussitôt, Curnonsky se met à l’ouvrage…
— Le nom ?…
Le stylo court avec mesure, traçant la petite écriture sobre et régulière.
— Un tel ? Ah ! Oui, je l’ai vu hier… Quel bon ami… Non, je ne suis jamais fatigué à Bruxelles. Je vais vous raconter une histoire, une histoire angevine…
Curnonsky sort son tabac, sa pipe… Il raconte, avec l’accent délicieux et fin de la province française… On rit.
— Donnez-moi votre livre, madame, le prince va signer…
Car on dit « le prince » tout simplement.
— Vous vous souvenez de moi ? Je vous ai vu à Dijon ?
— Et moi ? Je suis le neveu de…
Les souvenirs surgissent, s’égrènent. Curnonsky a des amis dans tous les coins du monde. Et tout le monde l’aime. Et tout le monde regrette qu’il soit à Bruxelles pour si peu de temps. Ce soir, il est attendu, à dîner, encore, par des maîtres de la gastronomie. Et en attendant, il signe, il écrit, sur la page de garde du volumineux bouquin qui s’intitule « Bons Plats, Bons Vins » en face de la caricature de Georges Villa que nous reproduisions hier. Il écrit et il signe « Curnonsky, Maurice E. Sailland ». Voilà, c’est tout. Il faut s’en aller.
La pluie tombe toujours. Bruxelles est gris. Mais Curnonsky, prince élu, s’en va avec le soleil de l’amitié dans le cœur, et la plaisanterie aux lèvres, l’humour et l’émotion jalonnant cette trop courte visite ou l’art et la bonne chère se sont curieusement conjugués.
Voir aussi:
- Curnonsky chez les gastronomes, La Dernière Heure, 29 novembre 1950, p. 3
- Bruxelles et le Pays – Arts, Lettre, Théâtre, Musique – Curnonsky Prince des Gastronomes, Le Peuple, 22 novembre 1950, p. 4
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