En ce 21 juillet 2023, loin du défilé militaire, plusieurs Membres du Club royal des gastronomes de Belgique se sont retrouvés à Lommel dans le Nord du Limbourg, au restaurant Cuchara, afin de remettre le Prix Cristal du Club au Chef Jan Tournier.
Le décor de la salle du restaurant est minimal : murs noirs, tables noires, fauteuils de cuir noir aux accoudoirs de bois caramel, touches vertes de quelques bonsaïs, grande baie vitrée donnant sur le jardin. Nous nous asseyons autour d’une grande table oblongue dans un salon privatif un peu plus lumineux au premier étage et trinquons à la Belgique et au Roi avec un champagne d’Henri Giraud (« Blanc de Craie, » blanc de blancs).
Un ballet de dix constructions culinaires commence. Leurs noms, repris sur le menu, sont énigmatiques : seul l’ingrédient principal est indiqué.
Au creux d’une assiette de grès gris clair, tomates cerises mondées sous une grappe de billes gélifiées couleur rubis, sur lesquelles on verse un dashi aigre-doux dont la surface s’orne de taches vertes d’une huile infusée à la coriandre déjà présente aux fonds des assiettes. L’équilibre des saveurs est particulièrement réussi et donne les meilleurs espoirs pour la suite du repas.
Sur un bol retourné, tartelette de pain d’épice emplie de foie gras crémeux, et surmontée de dés d’anguille acidulée de yuzu et ponzu, pris entre deux disques croustillants. Jeux de textures très agréables dont on fait une bouchée, pour révéler une à une les différentes saveurs.
Sur un piédestal de bois, tartelette au nori, morceau glacé de joue de veau confite, truffe noire d’Australie, et buisson d’algue. Chaque élément contribue à l’élaboration d’un goût agréable et indicible.
Une pochette de cuir alezan contenant des couverts est distribuée à chaque convive.
Surprise portant à onze le nombre de dégustations. Parallélépipèdes découpés dans une stratification de pommes de terre, de pancetta et de comté. Cet assemblage, fruit d’une réflexion sur la texture, reste dans la lignée des précédentes compositions, mais ses saveurs, ancrées dans plusieurs plats traditionnels, montrent que le Chef n’a pas oublié ses bases de cuisine classique apprises à l’Hilton d’Anvers.
Coiffé de ciboulette ciselée et d’œufs de truite, cylindre de saumon mariné pendant deux jours dans de la levure de ris rouge puis cuit lentement à 41 degrés afin d’atteindre une texture exceptionnellement fondante, que ponctuent les œufs éclatant en bouche. La wasabi bien présente galvanise le plat tandis que la béarnaise de vins blanc et jaune, le tempère. Je n’ai pas retrouvé le chou-fleur de mer (leathesia difformis ?) annoncé par le serveur, peut-être n’était-il pas indispensable.
Derrière un nuage de fumée de neige carbonique se dissipant rapidement, cernée de pois-chiches soufflés, une nouvelle construction turriculée sous un toit croustillant d’algues vertes parsemé de poudre d’huîtres, bousculant un grand classique des brasseries du Royaume : bœuf haché au couteau assaisonné de yuzu, œufs de hareng, mimolette, et crème aigre. Clin d’œil de la sommelière, un vin belge accompagne le plat : pinot gris, « Gloire de Duras. »
Des tranches de pain d’épeautre sont apportées comme un plat à part entière, elles sont accompagnées de beurre noisette en pommade recouvert d’un boulghour de chou-fleur au soja.
On continue avec du homard du Canada passé au barbecue, à la cuisson remarquable, et estompé par une généreuse enveloppe de sauce aux crevettes et oursins, ponctuée de quelques sections de petites asperges vertes croquantes.
La construction suivante fait penser à un torii aux montants verticaux de thon rouge, et aux linteaux horizontaux d’une galette de sésame et de lamelles de nori. Passant cette porte un tartare de thon habillé d’une écume de bonite. Deux textures de poisson au goût délicat que vient réveiller le sésame pour le plaisir des papilles.
Le passage du torii nous conduit vers le dernier plat avant les desserts : du chevreuil de Nouvelle-Zélande à la cuisson irréprochable, marié avec de juteuses cerises, quelques mûres, et une purée de pommes au yuzu et à la vanille, et complété d’un jus de chevreuil et d’une écume au beurre noisette. Harmonieux équilibre de saveurs.
Le premier dessert est caractérisé par sa relative simplicité : une quenelle de sorbet à la framboise et au champagne rosé entre deux disques translucides de sucre cristallisé, déposés sur de grosses moitiés de framboises. Frais, léger, peu sucré, et très apprécié des convives.
Avec les thés et cafés, une dernière création : sous un fin disque cacaoté, shiso, crème de fraises noires, et, à part des pralines au mascarpone.
Le Chef, grand, mince, souriant, habillé de noir, nous rejoint. C’est le moment de lui remettre le prix, non sans quelques commentaires enjoués, pour ce déjeuner festif d’un style unique, aux plats structurés ayant fait tourbillonner nos papilles.
Et comme il est toujours difficile de mettre fin à de si belles agapes, un Membre offre des digestifs pour prolonger ce moment d’amitié aux conversations empreintes de gastronomie, d’histoire, de cinéma, de poésie, et, qui l’eût cru, d’humour immobilier.
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