On dînait au Savoy. L’assistance était nombreuse. Quelqu’un s’écria: « Oh! il y a trois dames l’une à côté de l’autre!… »
Hélas! c’était vrai, et cela laissait supposer que ces messieurs étaient en minorité. Pourtant, il s’agissait de gastronomie et, par instinct, on range généralement cette espèce humaine du côté masculin. Gastronome… On voit aussitôt un monsieur souriant, rondouillard, coloré et bedonnant. C’est une erreur de plus à l’actif de notre imagination. Au Club des gastronomes, non seulement il y a beaucoup de dames, mais les messieurs sont très rares qui ressemblent à la susdite description. Nous dirons plus : à les bien regarder, il faut conclure qu’un gastronome ne jouit vraiment d’aucun trait distinctif. Ce sont des gens comme les autres !
Pourtant, quels fins mangeurs, quels véritables amateurs que la bonne soixantaine de personnes présentes. Tous les mois, dans l’un ou l’autre coin de Belgique, dans l’un ou l’autre restaurant de la capitale, ils se réunissent et dégustent le menu de la maison, tout spécialement soigné pour la circonstance par le chef.
A l’issue du repas, les opinions s’échangent, des discours sont prononcés vantant la chère de la maison – ou la critiquant à l’occasion – des plaisanteries aussi, aiguisées par l’absorption des bons vins, mettent les convives en joie. Et parfois, comme ce fut le cas à ce dîner du Savoy, l’enthousiasme des dégustateurs est si grand que le chef est appelé à comparaître pour recevoir les félicitations et l’accolade, laquelle lui est donnée de préférence par une jeune et jolie femme !
Elles ne manquent certes pas à ces réunions, les jolies femmes. On y bavarde à outrance. On y entend la charmante Lily Bourget raconter comment il est bien plus difficile de faire rire que de faire pleurer et comment le public parisien réagit différemment du public bruxellois… Tout cela avec mille anecdotes émaillées de son esprit piquant. Tandis que les plus graves parmi les membres du club, ceux qui sont commerçants, artistes, armuriers ou même journalistes, ou simplement dilettantes, discutent de leur emploi du temps… pendant les vacances de Noël!
Ce soir-là encore, il y eut un intermède imprévu au dessert : dans la salle du rez-de-chaussée, au Savoy, des clients de marque se pouvaient remarquer. A l’une des tables en bordure de la piste, il y avait… Stan Laurel et Oliver Hardy, flanqués d’une nombreuse tablée, parmi laquelle leurs charmantes femmes. Et un peu plus loin, moins remarqués certes, sinon moins remarquables, une assemblée d’aviateurs qui fêtaient en commun la récente signature d’un accord qui créait en Belgique une nouvelle société de transports aériens…
Ainsi, dans ce temple du bien manger et des cocktails bien secoués, le plus curieux des cocktails était-il bien celui que composait l’assemblée !
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