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Gastronomie volante

Gastronomie volante

Le Soir, 18 mai 1957, p. 2

En gastronomie, comme en histoire, les périodes se succèdent sans trop se ressembler. On part de la rusticité antique, on traverse des époques de plus en plus compliquées, on passe par des transitions parfois extravagantes, pour en venir, peu à peu, au classicisme et à la divine simplicité.

Le Club des gastronomes, sympathique association d’estomacs et de papilles belges, que préside avec talent M. Morren, n’échappe pas à cette loi historique.

Cette semaine, le club était sans doute en pleine transition, car il fit partie d’aller dîner a quatre mille mètres d’altitude, quelque part au-dessus de l’Europe, par le moyen d’un excellent croiseur de la Sabena. C’était élever la gastronomie à des hauteurs insoupçonnées, quoique banqueter dans les airs soit d’une gastronomie qui confine, littéralement, a l’aérophagie.

La soirée commença à Melsbroeck, par la visite des cuisines sabeniennes, sous la conduite de MM. Bans, chef du service de presse ; Brodure et Hoste, du service « hôtellerie ». Cuisines assez prodigieuses, où les ordres de service assimilent les « vols » des avions à des comestibles. Un cuisinier de la Sabena ne pense pas : « Bruxelles-Paris », mais bien « zakouskis » ; « Bruxelles-Dublin », mais plutôt « repas froid » ; « Bruxelles-Léopoldville », mais « repas surgelé à réchauffer ».

On nous expliqua les complications de la cuisine volante : 35 départs par jour à nourrir ; prévoir les goûts selon les nationalités ; ne pas oublier une seule fourchette.

On nous donna des statistiques : 204.000 repas servis au ciel en 1956 ; 47 tonnes de viande, 13 de volaille, 23 de fruits, 11 de beurre, 10 de sucre, 6 de café, 215.000 gâteaux, 260.000 petits pains, 60.000 bouteilles ou boîtes de lait et 136.000 œufs, le tout consommé en avion, ce qui justifie son surnom de « plus lourd que l’ai ».

Les repas sont préparés à terre et réchauffes en vol, dans le four électrique que possède chaque appareil. Le réchauffement est tout un art. Chose surprenante : bien des mets en acquièrent une saveur plus profonde.

Et nous sortîmes de ces laboratoires délicieusement accablés par, les détails : sait-on que le confort complet d’un avion oblige les responsables à y faire entrer 800 objets ? Depuis la serviette en papier jusqu’au canot pneumatique…

Au crépuscule, le Club des gastronomes s’envola pendant qu’un orage lançait par-dessus Melsbroeck un arc-en-ciel splendide comme une tranche napolitaine. Chose étrange nous allions dîner, et pourtant l’on nous commanda de serrer nos ceintures.

Il fallut bientôt taire la manœuvre inverse, car le menu « plein ciel », servi pendant que le grand oiseau tournait au-dessus de Paris, offrit successivement :

Médaillon de foie gras ;
Hors-d’œuvre ;
Suprêmes de turbot au coulis d’écrevisses ;
Selle d’agneau aux primeurs ;
Parfait glacé gastronome.
Avec des vins dignes du dîner

En trois petites heures de vol, on en vint à bout. Jamais passagers ne furent plus optimistes. Le président du club, s’étant emparé du micro du bord, fit un grand discours. Si la tour de contrôle l’a capté, elle a dû s’apercevoir qu’il n’était point question de météorologie.

Bref, soirée succulente, dont les membres du club parleront longtemps. Il était fort question de décerner à la Sabena l’Oscar des gastronomes…

V. N.

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