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Le « Club des gastronomes » au « Comme chez soi »

Le « Club des gastronomes » au « Comme chez soi »

Le Journal du Médecin, vendredi 2 mars 1984, p. 14

par Chambertin

On sait que le guide Gault Millau a hissé le « Comme chez soi » dans l’Olympe de la gastronomie, en lui décernant une quatrième toque et en sacrant Pierre Wynants cuisinier de l’année. Le Club des gastronomes, qui connaît une deuxième jeunesse sous la présidence du colonel André Jadin, a voulu célébrer l’événement à sa façon, en réservant tout le restaurant un samedi soir, salon, table d’hôte et cuisine compris.

On s’est battu, on a manœuvré, intrigué, on a invoqué les plus légitimes alibis pour en être. Rien n’y fit, une heure après la réception de la circulaire par les membres, c’était complet et les listes d’attente ne servirent à rien, il n’y eut pas la moindre défection le 11 février.

Pierre Wynants a effectué de nombreux travaux l’été dernier. Sa cuisine a triplé ou quadruplé de volume ; en achetant la maison qui jouxtait la sienne, à l’arrière, il a monté une cave à vin d’un modernisme et d’un professionnalisme exemplaires. On la visite comme un musée, et c’est là que les membres prirent le, Moêt & Chandon de l’apéritif. C’était une expérience pour Pierre Wynants. La température de la cave monta d’un degré et demi, et revint à son niveau initial après une heure. Les bouteilles furent certainement insensibles à cette variation thermique minime.

Une entrée en force

Le repas commença par des Saint-Jacques tièdes, à la salade de cresson et witloof, aux rubans rouges de tomates, un délice, soutenu par vin de bonne acidité, qui trouva exceptionnellement ses lettres de noblesse. C’était un « simple » Muscadet, la cuvée du millénaire du marquis de Goulaine, dans le millésime 1982. Le plat suivant s’inscrit déjà parmi ceux que la mémoire gourmande retiendra en 1984, un consommé d’huîtres à la crème de la mer, « qui ne se décompose qu’à l’imagination » déclara judicieusement le président du Club dans ses commentaires. Un plat du Nord, bien de chez nous.

Que dire quand l’extraordinaire devient presque bal ? On eut tort de se montrer quelque peu blasé devant le saumon sauvage d’Ecosse et Saint-Pierre, à la succulente mousseline d’oseille. Cette entrée vaut certainement par la qualité de ses produits, et cette phrase vient presque comme un reproche. Pourtant, j’aimerais savoir quel autre restaurant de notre pays peut proposer, en février, un poisson d’une telle saveur. Le Beaune-Grèves blanc de Louis Jadot fut remarquable. Vin rare, puisque ce vignoble couvre moins de deux hectares, il sortit toute la puissance empyreumatique d’un très grand Bourgogne dans un millésime pourtant moyen, comme le 1981. Les grands ne dédaignent pas suggérer, à l’occasion, un plat « paysan » et les langues d’agneau pochées, au coulis en persillade vinrent comme un plat printanier, arrosées d’un généreux château Dauzac 1979 aux senteurs goudronnées, tabacées, épicées qui le caractérisent.

L’apéritif dans la -superbe- cave de Pierre Wynants (Photo Fernand Antoine).

Plaisirs du nez 

On aurait dû applaudir la poêlée de ris de veau aux truffes fraîches et champignons des bois, tant ce plat parfuma la salle dès son arrivée. « Un repas du nez » déclara justement le président. On l’avait fini depuis belle lurette, et pourtant les parfums de ce plat fabuleux charmaient encore notre palais. On en profitait pour regoûter le château Gruaud-Larose 1970, qui dégageait moins d’arômes. René Gorissen avait-il eu raison de décanter le vin trois heures auparavant ? Je ne le pense pas, le vin avait perdu, par cette opération, une partie de son bouquet.

Enfin, l’émincé de doyenné caramélisé en feuilleté et sa sauce aux pistaches fit un malheur, en partie parce qu’il était soutenu par un verre de château Coutet 1981, jeune, mais assez complet et joliment botrytisé. Le gâteau aux chocolats « Laurence et Véronique » clôtura dignement ce grand repas de fête.

On félicita Mme Wynants, discrète et toujours présente. Le président du Club fit remarquer que 23 personnes avaient œuvré au succès de cette soirée qui réunissait 72 convives. Le club des gastronomes remet chaque année des Oscars. Pierre Wynants, ayant reçu depuis longtemps celui décerné aux cuisiniers, André Jadin eut la bonne idée de remettre l’Oscar du maître d’hôtel à René Gorissen, le « nez vineux » de la maison, qui dirige aussi avec brio sa brigade de salle.

Pour ma part, je saluerai les quatre médecins présents au dîner et qui me font l’honneur de me lire chaque semaine. Ils ne sont pas nécessairement toujours d’accord avec mes impressions ; néanmoins je suis persuadé que l’unanimité s’est faite, ce soir-là, sur l’excellence du repas.

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