Voilà déjà un an que les Membres du Club royal des gastronomes de Belgique se réunissaient dans le restaurant de Tim Boury à Roulers ! Cette année, en plus du gala annuel des Membres, l’occasion était spéciale puisque nous venions remettre le Prix Cristal du Club.
Comme l’année passée nous sommes conduits dans la grande salle entre jardin et cuisine où la brigade en toque blanche s’affaire déjà. Les discussions vont bon train. Pendant que du champagne Perier-Jouet Grand Brut est généreusement servi, le Chef, enjoué, vient nous souhaiter la bienvenue avec des poignées de mains énergiques.
Avant de passer à table, je souhaite quelques anniversaires dont celui de notre vénérable doyen.
Incipit en une demi-douzaine de préparations tout aussi surprenantes que savoureuses – certaines ludiques – et inspirées de cuisines du monde : petit sandwich japonais admirablement moelleux au thon et raifort ; explosion de saveurs avec une tartelette croquante au chou fermenté, lard caramélisé, ail noir et yaourt ; jeune maïs fendu, aux crevettes grises et à la cacahuète concassée ; tubes d’algue croustillants emplis d’une préparation crémeuse au soja et yuzu ; « crème brûlée » au foie de canard à la minute : celle-ci est versée sur de la betterave rouge, se fige en quelques instants puis est recouverte d’un disque sucré et croquant. Un régal.
Inge, l’épouse du Chef, nous souhaite à son tour la bienvenue et présente le menu. Elle reviendra avec l’excellente brigade de salle dans un ballet bien rodé et scénographié pour apporter chaque plat de l’anthologie gastronomique à suivre.
La langoustine de Bretagne est proposée en trois préparations froides, et une chaude. Mais d’abord, en bout de table et à l’aide d’un siphon, le Chef réalise, afin de rafraîchir et préparer les palais, des sucettes de mousse au concombre, à la pomme verte, et à la verveine citron, qui gèlent instantanément au contact de plaques de métal glacées. En bouche, la sensation de froid très éphémère, laisse rapidement place à l’équilibre entre les ingrédients habilement dosés. Chacun peut ensuite déguster un tartare fondant de langoustines, déposé au creux d’une assiette de verre où l’on vient verser une vinaigrette péruvienne à base de lait de coco et d’huile à l’aneth ; des sushis translucides, garnis d’un autre tartare légèrement assaisonné d’une vinaigrette aux anchois salés, et coiffés de filament d’algues séchées ; une fine tartelette croustillante, garnie de morceaux de langoustines et d’une émulsion réalisée à partir du corail et des têtes, recouverte d’une salade d’herbes et décorée de billes écarlates de radis. Trois traitements très différents du même produit que l’on reconnaît à sa texture presque fondante et sa douceur et, tous, galvanisés par un vin de la région de Marlborough en Nouvelle Zélande (Momo 2023).
Pas de pain pour saucer, mais une envoûtante brioche chaude, feuilletée, aérienne, à la croûte fine, striée et ultra-croustillante.
Le silence se fait lorsque la dernière préparation est déposée. Une grosse langoustine fendue dans sa longueur rapidement passée sous la salamandre, farcie dans sa tête d’une duxelles de champignons et imbibée d’une écume à base du jus des têtes, trône au centre d’une assiette au pourtour gris argent. On verse une cuillère de beurre fondu infusé au thym. Cuisson remarquable du délicat crustacé. Association de saveurs simple et exceptionnelle sublimée par un vin de Swartland du domaine Meerhof spécialement élaboré pour le restaurant (2022).
J’aimerais garder pour mes voisines de table et moi le contenu de la sphère de porcelaine qui est ensuite déposée à côté de nous et dont on soulève gracieusement le couvercle, afin de révéler d’abord des parfums caractéristiques de camembert et d’ail, puis des formes irrégulières et diverses du prodige simple et raffiné de la gastronomie que sont les truffes blanches d’Alba. Celles-ci seront râpées sur une grosse noix de coquille Saint-Jacques de Dieppe méticuleusement quadrillée et uniformément dorée, accompagnée d’une quenelle de purée de topinambour piquée de lamelles de topinambour, et humectée d’un jus dashi au beurre noisette. La racine au goût délicat et la douceur du mollusque contrastent agréablement avec le jus, tandis que les arômes du champignon hypogé continuent de se dégager pour un grand moment de plaisir. Le sommelier a proposé un assemblage frais et fruité de chenin et chardonnay du Domaine La Renière (Les Caves Blanches, 2023) qui se marie bien au plat.
Nous terminons les entrées avec un mets dont le chef a fait sa signature : une pomme de terre moscovite. On nous présente d’abord le caviar osciètre qui sera utilisé pour sa réalisation. Celui-ci est issu d’esturgeons élevés en Italie. Sous une torche on distingue ses grains ambrés à dorés. Il est finalement servi sous forme d’une très grosse quenelle surmontant une pomme de terre garnie d’un écrasé de bintjes à la crème aigre et à la ciboulette, avec lequel se marient particulièrement bien les saveurs marines et de noisettes, subtiles et très délicates, développées par les grains fermes et moelleux du caviar. L’ensemble est nappé de beurre blanc. L’acidité frappante d’un vin de vijariego blanco des Îles Canaries (domaine Viñátigo, 2022) électrise remarquablement ce plat simple et délicieux.
Nous poursuivons avec un dos de chevreuil d’abord présenté ostensiblement sur un lit de mousses, lichens et d’épicéa dans un coffret de bois. Bien assaisonné sur l’extérieur, il est rôti dans un four à braises, lui conférant ainsi des notes fumées. Il est fastueusement accompagné notamment de chicon de pleine terre, d’une purée de potiron piquée de ses graines torréfiées, de canneberges, et d’une préparation au Grevenbroecker servant de condiment. Dans une assiette à part : une préparation de racines tubéreuses sous plusieurs textures, agrémentée de chou séché croustillant, et arrosée d’un jus à base de jambon Bellota. La qualité de la viande est tout à fait exceptionnelle et le Chef lui a rendu pleinement justice – jamais je n’en ai mangé de pareille. Le plat est superbement enivré d’un pauillac (les Griffons de Pichon Baron, 2015) servi en magnum qui ravit l’ensemble des convives.
Nous concluons avec deux desserts légers aux multiples textures et saveurs. Le premier, artistiquement composé, à la Doyenné du Comice, au miel et au safran. Le second, au chocolat intense, à la vanille exubérante et aux graines d’acacia moulues. À ceux-ci sont ajoutés quelques gourmandises, dont des roulés au fruits rouges, des pasteis de nata revisitées avec succès, des cannelés de Bordeaux brillants, croquants et crémeux, plusieurs chocolats, etc.
Le Chef vient nous revoir sous les applaudissements. Je lui explique la façon dont notre Conseil d’administration choisit les restaurants auxquels un prix est remis. Tim a déjà reçu en 2017 le Prix au Chef de l’Avenir. Cette année je lui remets le Prix Cristal avec des louanges que je conclus par une question aux convives présents : voulez-vous revenir pour notre gala l’année prochaine ? La réponse univoque est positive. À 2025, donc !